Militant pour un secteur de la production télévisuelle dynamique et en bonne santé, la Guilde canadienne des réalisateurs souhaite répondre par la présente à la lettre de Jean-Pierre Blais, président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Celle-ci portait sur la publication, le 15 mai 2017, des décisions concernant le renouvellement des licences de diffusion des grands groupes de propriété de langue française.

Ces trois dernières années, le CRTC a tenu d’importantes audiences publiques sur les bouleversements du paysage médiatique. Tout au long de ce processus, le Conseil a soutenu, à maintes reprises et à juste titre, que le succès actuel et futur de l’écosystème télévisuel canadien passe par les émissions canadiennes « originales ». D’ailleurs, il l’a bien noté dans la décision Parlons télé : les productions canadiennes originales de première diffusion ajoutent une plus grande valeur à ce système que le contenu rediffusé ou recyclé (politique réglementaire de radiodiffusion 2015-86, par. 191). Il a aussi souligné qu’une telle programmation devait être accessible sur des plateformes en ligne exploitées par des Canadiens.

Le mois dernier, pourtant, en rendant ses décisions concernant le renouvellement des licences de diffusion des grands groupes de propriété de langue française, le CRTC a passé à la trappe d’importantes obligations favorisant la création de productions originales de langue française. En clair, il a levé l’exigence, pour Séries+, une station du groupe Corus, de consacrer chaque année 1,5 million de dollars à des émissions dramatiques francophones originales – soit 7,5 millions sur cinq ans. Il a également libéré Historia, qui appartient aussi à Corus, de son obligation d’allouer 75 % de ses dépenses en émissions canadiennes à du contenu original de première diffusion, ce qui équivaut à quelque 15 millions sur cinq ans. Enfin, Vrak, propriété de Bell Média, n’est plus tenue de présenter chaque année 104 heures de contenu original canadien de langue française et de première diffusion, ce qui aura des répercussions de l’ordre d’environ 15 millions sur cinq ans. 

Faisons le calcul : ce sont près de 40 millions de dollars en investissements garantis dans des productions canadiennes originales de langue française qui pourraient s’évaporer au cours des cinq prochaines années.

Pourquoi? Parce que si les décisions rendues par le CRTC le 15 mai étaient assorties de nouvelles exigences touchant les dépenses de programmation, aucune d’entre elles ne concernait les diverses déclinaisons du contenu original de langue française, des séries dramatiques aux documentaires en passant par les longs métrages, les émissions consacrées à la musique ou à la danse et les remises de prix. C’est donc dire que Québecor, Bell, V Média et Corus ont beau jeu d’affecter toutes leurs dépenses de programmation à du contenu rediffusé ou recyclé. Et peut-être était-ce déjà prévu, mais il faut le répéter : quelques jours seulement après l’annonce du CRTC, Séries+, la station de Corus, annonçait qu’elle annulait la production de trois séries dramatiques originales de langue française.

Le Conseil semble avoir bon espoir de voir les grands groupes de propriété de langue française investir dans la création de productions originales francophones, et ce, même si aucune exigence réglementaire ne les y oblige. Hélas, l’histoire nous l’a prouvé : dans un environnement où la concurrence est féroce, il n’y a qu’une manière concluante de garantir la production et la diffusion sur toutes les plateformes de contenu francophone original et de haute qualité, et d’ainsi atteindre les objectifs énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion : la réglementation.

 

Tim Southam

Président

Guilde canadienne des réalisateurs